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 À l’ombre des jeunes filles en fleurs Joventut del protagonista, M de Norpois; Bergotte, visites a Odette Swann i a la seva filla, distanciament.
Primera estada a Balbec, amb l’àvia. Charlus i Saiunt Loup. La banda de noies esportives a la platja, amb Albertina. Amistat amb Bloch i Saint-Loup.
   
 

Primeres i ulteriors audicions de la sonata de Vinteuil

p. 127

Ce fut un de ces jours-là qu’il lui arriva de me jouer la petite partie de la Sonate de Vinteuil où se trouve la petite phrase que Swann avait tant aimée. Mais souvent on n’entend rien, si c’est une musique un peu compliquée qu’on écoute pour la première fois. Et pourtant quand plus tard on m’eût joué deux ou trois fois cette Sonate, je me trouvai la connaître parfaitement. Aussi n’a-t-on pas tort de dire “entendre pour la première fois”. Si l’on n’avait vraiment, comme on l’a cru, rien distinguée à la première audition, la deuxième, la troisième seraient autant de premières, et il n’y aurait pas de raison pour qu’on comprît quelque chose de plus à la dixième. Probablement ce qui fait défaut, la première fois, ce n’est pas la compréhension, mais la mémoire. [...] Seulement, je n’avais encore jusqu’à ce jour rien entendu de cette Sonate, et là où Swann et sa femme voyaient une phrase distincte, celle-ci était aussi loin de ma perception claire qu’un nom qu’on cherche à se rappeler et à la place duquel on ne trouve que du néant, un néant d’où une heure plus tard, sans qu’on y pense, s’élanceront d’elles mêmes, en un seul blond, les syllabes d’abord vainement sollicitées. Et non seulement on ne retient pas tout de suite les oeuvres vraiment rares, mais même au sein de chacune de ces oeuvres-là, et cela m’arriva pour la sonate de Vinteuil ce sont les parties les moins précieuses qu’on perçoit d’abord. De sorte que je ne trompais pas seulement en pensant que l’œuvre ne me réservait plus rien [...] Mais bien plus, même quand j’eus écouté la Sonate d’un bout à l’autre, elle me resta presque tout entière invisible, comme un monument dont la distance ou la brume ne laissant apercevoir que de faibles parties. De là, la mélancolie qui s’attache à la connaissance de tels ouvrages, comme de tout ce qui se réalise dans le temps. Quand ce qui est le plus caché dans la Sonate de Vinteuil se découvrit à moi, déjà, entraîné par l’habitude hors des prises de ma sensibilité, ce que j’avais distingué, préféré tout d’abord, commençait a m’échapper, à me fuir. Pour n’avoir pu aimer qu’en des temps successifs tout ce que m’apportait cette Sonate, je ne la possédai jamais toute entière: elle ressemblait à la vie. Mais, moins décevants que la vie, ces grands chefs-d’œuvre ne commencent pas par nous donner ce qu’ils ont de meilleur.

[segueix i tracta també dels quartets de Beethoven]


La toilette de Mme. Swann

p. 256

Et je comprenais que ces canons selon lesquels elle s’habillait, c’était pour elle-même qu’elle y obéissait, comme à une sagesse supérieure dont elle eût été la grande prêtresse: car s’il lui arrivait qu’ayant trop chaud elle entr’ouvrit, ou même ôtât tout à fait et me donnât à porter sa jaquette qu’elle avait cru garder fermée, je découvrais dans la chemisette mille détails d’exécution qui avaient eu grande chance de rester inaperçus, comme ces parties d’orchestre auxquelles le compositeur a donné tous ses soins, bien qu’elles ne doivent jamais arriver aux oreilles du public; ou, dans les manches de la jaquette pliée sur mon bras, je voyais, je regardais longuement, par plaisir ou par amabilité, quelque détail exquis, une bande d’une teinte délicieuse, une satinette mauve habituellement cachée aux yeux de tous, mais aussi délicatement travaillées que les parties extérieures, comme ces sculptures gothiques d’une cathédrale dissimulées au revers d’une balustrade à quatre-vingt pieds de hauteur, aussi parfaites que les bas-reliefs du grand porche, amis que personne n’avait jamais vues avant qu’au hasard d’un voyage, un artiste n’eût obtenu de monter se promener en plein ciel, pour dominer toute la ville, entre les deux tours.


La tendresse de la grand-mère

p. 294

Je regardais ensuite sans me lasser son grand visage découpé comme un beau nuage ardent et calme, derrière lequel on sentait rayonner la tendresse. Et tout ce qui recevait encore, si faiblement que ce fût, un peu de ses sensations, tout ce qui pouvait ainsi être dit encore à elle, en était aussitôt si spiritualisé, si sanctifié que de mes paumes je lissais ses beaux cheveux à peine gris avec autant de respect, de précaution et de douceur que si j’y avais caressé sa bonté. Elle trouvait un tel plaisir dans toute peine qui m’en épargnait une, et, dans un moment d’immobilité et de calme pour mes membres fatigués, quelque chose de si délicieux, que quand, ayant vu, qu’elle voulait m’aider à me coucher et me déchausser, je fis le geste de l’empêcher et de commencer à me deshabiller moi-même, elle arrêta d’un regard suppliant mes mains qui touchaient aux premiers boutons de ma veste et de mes bottines.

-Oh, je t’en prie, me dit –elle C’est une telle joie pour ta grand’mère. Et surtout ne manque pas de frapper au mur si tu as besoin de quelque chose cette nuit, mon lit est adossé au tien, la cloison est très mince. D’ici un moment quand tu seras couché, fais-le, pour voir si nous nous comprenons bien.

Et, en effet, ce soir-là, je frappais trois coups –que une semaine plus tard, quand je fus souffrant, je renouvelai pendant  quelques jours tous les matins parce que ma grand’mère voulait me donner du lait de bonne heure. Alors quand je croyais entendre qu’elle était réveillée –pour qu’elle n’attendit pas et pût, tout de suite après, se rendormir- je risquais trois petits coups, timidement, faiblement, distinctement malgré tout, car si je craignais d’interrompre son sommeil dans le cas où je me serais trompé et où elle eût dormi, je n’aurais pas voulu non plus qu’elle continuât d’épier un appel qu’elle n’aurait pas distingué d’abord et que je n’oserais pas renouveler. Et à peine j’avais frappé mes coups j’en entendais trois autres, d’une intonation différente ceux-là, empreints d’une calme autorité, répétés à deux reprises pour plus de clarté et qui disaient: “Ne t’agite pas, j’ai entendu; dans quelques instants je serai là”; et bientôt après ma grand’mère arrivait. Je lui disais que j’avais peur qu’elle ne m’entendit pas ou crût que c’était un voisin qui avait frappé; elle riait:

-Confondre les coups de mon pauvre loup avec d’autres, mais entre mille sa grand’mère les reconnaîtrait! Crois-tu donc qu’il y en ait d’autres au monde qui soient aussi bêtas, aussi fébriles, aussi partagés entre la crainte de me réveiller et de me pas être compris? Mais quand même elle se contenterait d’un grattement on reconnaîtrait tout de suite sa petite souris.


Experience et imagination

p. 329

[Dels Guermantes] Comment aurais-je pu croire à une communauté d’origine entre deux noms qui étaient entrés en moi, l’un par la porte basse et honteuse de l’expérience, l’autre par la porte d’or de l’imagination?


Instruments Anciens [violes de gamba a primers de segle]

p. 390

Et plus tard quand je retrouvai dans mes lectures historiques, appartenant à tel podestat ou tel prince de l’Église, ce prénom même belle médaille de la Renaissance –d’aucuns disaient un véritable antique- toujours restée dans la famille, ayant glissé de descendant en descendant depuis le cabinet du Vatican jusqu’à l’oncle de mon ami, j’éprouvais le plaisir réservé à ceux qui, ne pouvant faute d’argent constituer un médaillier, une pinacothèque, recherchent les vieux noms (noms de localités. Documentaires, et pittoresques comme une carte ancienne, une vue cavalière, une enseigne ou un coutumier, noms de baptême où résonne et s’entend, dans les belles finales françaises, le défaut de langue, l’intonation d’une vulgarité ethnique, la prononciation vicieuse selon lesquels nos ancêtres faisaient subir aux mots latins et saxons des mutilations durables, devenues plus tard les augustes législatrices des grammaires) et, en somme, grâce à ces collections de sonorités anciennes, se donnent à eux-mêmes des concerts, à la façon de ceux qui acquièrent des violes de gambe et des violes d’amour pour jouer de la musique autrefois sur des instruments anciens.


Le tableau de la fenêtre

p. 454

J’entrai dans ma chambre. Au fur et à mesure que la saison s’avança, changea le tableau que j’y trouvais dans la fenêtre. D’abord il faisait grand jour, et sombre seulement s’il faisait mauvais temps; alors, dans le verre glauque et qu’elle boursouflait de ses vagues rondes, la mer, sertie entre les montants de fer de ma croisée comme dans les plombs d’un vitrail, effilochait sur toute la profonde bordure rocheuse de la baie des triangles empennées d’une immobile écume linéamentée avec la délicatesse d’une plume ou d’un duvet dessinés par Pisanello, et fixés par cet émail blanc, inaltérable et crémeux qui figure une couche de neige dans les verreries de Gallé.
Bientôt les jours diminuèrent et au moment où j’entrais dans la chambre, le ciel violet, semblant stigmatisé par la figure raide, géométrique, passagère et fulgurante du soleil (pareille à la représentation de quelque signe miraculeux, de quelque apparition mystique), s’inclinait vers la mer sur la charnière de l’horizon comme un tableau religieux au-dessus du maître-autel, tandis que les parties différentes du couchant, exposées dans les glaces des bibliothèques basses en acajou qui couraient le long des murs et que je rapportais par la pensée à la merveilleuse peinture dont elles étaient détachées, semblaient comme ces scènes differentes que quelque maître ancien exécuta jadis pour une confrérie sur une châsse et dont on exhibe à coté les uns des autres dans une salle de musée les volets séparés que l’imagination seule du visiteur remet à leur place sur les prédelles du retable.
Quelques semaines plus tard, quand je remontais, le soleil était déjà couché. Pareille à celle que je voyais à Combray au-dessus du Calvaire quand je rentrais de promenade et m’apprêtais à descendre avant le dîner à la cuisine, une bande de ciel rouge au-dessus de la mer, compacte et coupante comme de la gelée de viande, puis bientôt, sur la mer déjà froide et bleue comme le poisson appelé mulet, le ciel du même rose qu’un de ces saumons que nous ferions servir tout à l’heure à Rivebelle, ravivaient le plaisir que j’allais avoir à me mettre en habit pour partir dîner. Sur la mer, tout près du rivage, essayaient de s’élever, les unes par-dessus les autres, à étages de plus en plus larges, des vapeurs d’un noir de suie mais aussi d’un poli, d’une consistance d’agate, d’une pesanteur visible, si bien que les plus élevées penchant au-dessus de la tige déformée et jusqu’en dehors du centre de gravité de celles qui les avaient soutenues jusqu’ici, semblaient sur le point d’entraîner cet échafaudage déjà à demi-hauteur du ciel et de le précipiter vers la mer.


El paisatge de la taula

p. 532

Je restais maintenant volontiers à table pendent qu’on desservait et, si ce n’était pas un moment où les jeunes filles de la petite bande pouvaient passer, ce n’était plus uniquement du côté de la mer que je regardais. Depuis que j’en avais vu dans des aquarelles d’Elstir, je cherchais à retrouver dans la réalité, j’aimais comme quelque chose de poétique, le geste interrompu des couteaux encore de travers, la rondeur bombée d’une serviette défaite où le soleil intercale un morceau de velours jaune, le verre à demi vidé qui montre mieux ainsi le noble évasement de ses formes et, au fond de son vitrage translucide et pareil à une condensation du jour, un reste de vin sombre mais scintillant de lumières, le déplacement des volumes, la transmutation des liquides par l’éclairage, l’altération des prunes qui passent du vert au bleu à l’or dans le compotier  déjà à demi dépouillé, la promenade des chaises vieillottes qui deux fois par jour viennent s’installer autour de la nappe, dressée sur la table ainsi que sur un autel où sont célébrées les fêtes de la gourmandise, et sur laquelle au fond des huîtres quelques gouttes d’eau lustrale restent comme dans de petits bénitiers de pierre; j’essayais de trouver la beauté là où je ne m’étais jamais figuré qu’elle fût, dans les choses les plus usuelles, dans la vie profonde des “natures mortes”.


La chambre interièure

p. 535

[Després de ser presentat a Albertina per Elstir]
Pour le plaisir, je ne le connus naturellement qu’un peu plus tard, quand, rentré à l’hôtel, resté seul, je fus redevenu moi-même. Il en est des plaisirs comme des photographies. Ce qu’on prend en présence de l’être aimé n’est qu’un cliché négatif, on le développe plus tard, une fois chez soi, quand on a retrouvé à sa disposition cette chambre noire intérieure dont l’entrée est “condamnée” tant qu’on voit du monde.


L’anticipació

p. 538

Pourtant, quelques déceptions inévitables qu’elle doive apporter, cette démarche vers ce qu’on n’a qu’entrevu, ce qu’on a eu le loisir d’imaginer, cette démarche est la seule qui soit saine pour les sens, qui y entretienne l’appétit. De quel morne ennui est empreinte la vie des gens qui, par paresse ou timidité, se rendent directement en voiture chez des amis qu’ils ont connus sans avoir d’abord rêvé d’eux, sans jamais oser sur le parcours s’arrêter auprès de ce qu’ils désirent!


Idees determinades

p. 558

Même mentalement, nous dépendons des lois naturelles beaucoup plus que nous ne croyons, et notre esprit possède d’avance comme certain cryptogame, comme telle graminée, les particularités que nous croyons choisir. Mais nous ne saisissons que les idées secondes sans percevoir la causa première (race juive, famille française, etc.) qui les produisait nécessairement et que nous manifestons au moment voulu. Et peut-être, alors que les unes nous paraissent le résultat d’une délibération, les autres d’une imprudence dans notre hygiène, tenons-nous de notre famille, comme les papilionacées la forme de leur graine, aussi bien les idées dont nous vivons que la maladie dont nous mourrons.


Les noies joves

p. 558

Comme sur un plant où les fleurs mûrissent à des époques différentes, je les avais vues, en de vieilles dames, sur cette plage de Balbec, ces dures graines, ces mous tubercules, que mes amies seraient un jour. Mais qu’importait? En ce moment, c’était la saison des fleurs.
p. 574
Il vient si vite, le moment où l’on n’a plus rien à attendre, où le corps est figé dans une immobilité qui ni promet plus de surprises, où l’on perd toute espérance en voyant, comme aux arbres en plein été des feuilles déjà mortes, autour de visages encore jeunes des cheveux qui tombent ou blanchissent, il est si court, ce matin radieux, qu’on en vient à n’aimer que les très jeunes filles, celles chez qui la chair comme une pâte précieuse travaille encore. Elles ne sont qu’un flot de matière ductile pétrie à tout moment par l’impression passagère qui les domine.


Veure, reveure, recrear

p. 588

Chaque être est détruit quand nous cessons de le voir; puis son apparition suivante est une création nouvelle, différente de celle qui l’a immédiatement précédée, sinon de toutes. Car les minimum de variété qui puisse régner dans ces créations est de deux. Nous souvenant d’un coup d’œil énergique, d’un air hardi, c’est inévitablement la fois suivante par un profil quasi languide, par une sorte de douceur rêveuse, choses négligées par nous dans le précédent souvenir, que nous serons, à la prochaine rencontre, étonnés, c’est-à-dire presque uniquement frappés.


Misteri de lluny, trivial de prop?

p. 624

Sans doute leurs visages à toutes avaient bien changé pour moi de sens, depuis que la façon dont il fallait les lire m’avait été dans une certaine mesure indiquée par leurs propos, propos auxquels je pouvais attribuer une valeur d’autant plus grande que par mes questions je les provoquais à mon gré, les faisais varier comme un expérimentateur qui demande à des contre-épreuves la vérification de ce qu’il a supposé. Et c’est en somme une façon comme une autre de résoudre le problème de l’existence, qu’approcher suffisamment les choses et les personnes qui nous ont paru de loin belles et mystérieuses, pour nous rendre compte qu’elles sont sans mystère et sans beauté; c’est une des hygiènes entre les quelles on peut opter, une hygiène qui n’est peut-être pas très recommandable, mais elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et aussi –comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous avons atteint le meilleur, et que le meilleur n’était pas grand’chose - pour nous résigner à la mort.