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Albertine disparue M, desesperat per l’absència d’Albertine, l’escriu, intenta que Saint-Loup faci gestions. Rep una carta on li anuncia que no tornarà, rep un telegrama on se l’informa de la mort d’A. en un accident d’equitació, i després una carta on li anunciava la tornada. Dolor i plany seguit de la recerca i confirmació de les activitats lèsbiques d’A. Comença l’oblit poc a poc. Retroba Gilberte. Viatge a Venècia, camí de tornada, amb la seva mare, s’assabenta del casament de Saint-Loup amb Gilberte. (abans un telegrama que creu ser d’Albertine el fa adonar que l’ha oblidat del tot).
Les pàgines de dolor per l’absència d’Albertine són d’una rara bellesa i intensitat.
   
 

Plagi d’un mateix

p. 30

Le plagiat humain auquel il est le plus difficile d’échapper, pour les individus (et même pour les peuples qui persévèrent dans leurs fautes et vont les aggravant), c’est le plagiat de soi-même.


Albertine

p. 33

Le temps était loin où j’avais bien petitement commencé à Balbec par ajouter aux sensations visuelles quand je regardais Albertine, des sensations de saveur, d’odeur, de toucher. Depuis, des sensations plus profondes, plus douces, plus indéfinissables s’y étaient ajoutées, puis des sensations douloureuses. Bref Albertine n’était, comme une pierre autour de laquelle il a neigé, que le centre générateur d’une immense construction qui passait par le plan de mon cœur.


Embolics

p. 40

Les parents de la petite fille que j’avais amenée une heure chez moi avaient voulu déposer contre moi une plainte en détournement de mineure. Il y a des moments de la vie où une sorte de beauté naît de la multiplicité des ennuis qui nous assaillent, entrecroisés comme des motifs wagnériens, de la notion aussi, émergente alors, que les évènements ne sont pas situés dans l’ensemble des reflets peints dans le pauvre petit miroir que porte devant elle l’intelligence et qu’elle appelle l’avenir, qu’ils sont en dehors et surgissent aussi brusquement que quelqu’un qui vient constater un flagrant délit. Déjà, laissé à lui même, un événement de modifie, soit que l’échec nous amplifie ou la satisfaction le réduise.


Introspecció

p. 70

De même que, dans tout le cours de notre vie, notre égoïsme voit tout le temps devant lui les buts précieux pour notre moi, mais ne regarde jamais ce Je lui-même qui ne cesse de les considérer, de même le désir qui dirige nos actes descend vers eux, mais ne remonte pas à soi, soit que, trop utilitaire, il se précipite dans l’action et dédaigne la connaissance, soit recherche de l’avenir pour corriger les déceptions du présent, soit que la paresse de l’esprit le pousse à glisser sur la peine aisée de l’imagination plutôt qu’à remonter la pente abrupte de l’introspection.


Albertine est morte

p. 84

[una carta de M posant condicions a la tornada ho precedia]

Je laissai toute fierté vis-à-vis d’Albertine, je lui envoyai un télégramme désespéré lui demandant de revenir à n’importe quelles conditions, qu’elle ferait tout ce qu’elle voudrait, que je demandais seulement à l’embrasser une minute trois fois par semaine avant qu’elle se couche. Et elle eût dit: une fois seulement, que j’eusse accepté une fois.
Elle ne revint jamais. Mon télégramme venait de partir que j’en reçus un. Il était de Mme Bontemps. Le monde n’est pas créé une fois pour toutes pour chacun de nous. Il s’y ajoute au cours de la vie des choses que nous ne soupçonnions pas. Ah! Ce ne fut pas la suppression de la souffrance que produisirent en moi les deux premières lignes du télégramme: “Mon pauvre ami, notre pauvre Albertine n’est plus, pardonnez-moi de vous dire cette chose affreuse, vous qui l’aimiez tant. Elle a été jetée par son cheval contre un arbre pendant une promenade. Tous nous efforts n’ont pu la ranimer, Que ne suis-je morte à sa place”
[...]
[una primera carta dient que no vindria]
[una segona deia: p. 87]
“Serait-il trop tard pour que je revienne chez vous? Si vous n’avez pas encore écrit a Andrée, consentiriez-vous à me reprendre? Je m’inclinerai devant votre décision, je vous supplie de ne pas tarder à me la faire connaître, vous pensez avec quelle impatience je l’attends. Si c’était que je revienne, je prendrais le train immédiatement. De tout coeur à vous, Albertine.”

Pour que la mort d’Albertine eût pu supprimer mes souffrances, il eût fallu que le choc l’eût tuée non seulement en Touraine, mais en moi.

[... p. 88]
Alors ma vie fut entièrement changée. Ce qui en avait fait, et non à cause d’Albertine, parallèlement à elle, quand j’étais seul, la douceur, c’était justement, à l’appel de moments identiques, la perpétuelle renaissance de moments anciens. Par le bruit de la pluie m’était rendue l’odeur des lilas de Combray; par la mobilité du soleil sur le balcon, les pigeons des Champs-Elysées; par l’assourdissement des bruits dans la chaleur de la matinée, la fraîcheur des cerises; le désir de la Bretagne ou de Vénise par le bruit du vent et le retour de Pâques.


Expectatives i excuses

p. 94

C’est de cette façon qu’autrefois, quand quelque visite aimable m’empêchait de travailler, si le lendemain je restais seul je ne travaillais pas davantage. Qu’une maladie, un duel, un cheval emporté, nous fassent voir la mort de près, nous aurions joui richement de la vie, de la volupté, de pays inconnus dont nous allons être privés. Et une fois le danger passé, ce que nous retrouvons, c’est la même vie morne où rien de tout cela n’existait pour nous.


Oblidar l’univers

p. 96

Lié qu’il était à toutes les saisons, pour que je perdisse le souvenir d’Albertine, il aurait fallu que je les oubliasse toutes, quitte à recommencer à les connaître, comme un vieillard frappé d’hémiplégie et qui rapprend à lire; il aurait fallu que je renonçasse tout l’univers. Seule, me disais-je, une véritable mort de moi-même serait capable (mais elle est impossible) de me consoler de la sienne.


Les estacions de l’any

p. 99

De sorte que ces quelques années n’imposaient pas seulement au souvenir d’Albertine, qui les rendait si douloureuses, les couleurs successives, les modalités différentes, la cendre de leurs saisons ou de leurs heures, des fins d’après-midi de juin aux soirs d’hiver, des clairs de lune sur la mer à l’aube en rentrant à la maison, de la neige de Paris aux feuilles mortes de Saint-Cloud, mais encore de l’idée particulière que je me faisais successivement d’Albertine, de l’aspect physique sous lequel je me la représentais à chacun de ces moments, de la fréquence plus ou moins grande avec laquelle je la voyais cette saison-là, laquelle s’en trouvait comme plus dispersée ou plus compacte, des anxiétés qu’elle avait pu m’y causer par l’attente, du charme que j’avais à tel moment pour elle, d’espoirs formés, puis perdus; tout cela modifiait le caractère de ma tristesse rétrospective tout autant que les impressions de lumière ou de parfums qui lui étaient associées, et complétait chacune des années solaires que j’avais vécues et qui, rien qu’avec leurs printemps, leurs automnes, leurs hivers, étaient déjà si tristes à cause du souvenir inséparable d’elle, la doublait d’une sorte d’année sentimentale où les heures n’étaient pas définies par la position du soleil mais par l’attente d’un rendez-vous; où la longueur des jours ou les progrès de la température, étaient mesurés par l’essor de mes espérances, le progrès de notre intimité, la transformation progressive de son visage, les voyages qu’elle avait faits, la fréquence et le style des lettres qu’elle m’avait adressées dans l’absence, sa précipitation plus ou moins grande de me voir au retour.


Imatge construida pel cor que vol participar de les emocions més generals de l’amor

p. 107

Ce qui remplissait mon coeur maintenant c’était, au lieu de haineux soupçons, le souvenir attendri des heures de tendresse confiante passées avec la soeur que sa mort m’avait réellement fait perdre, puisque mon chagrin se rapportait, non à ce qu’Albertine avait été pour moi, mais à ce que mon coeur, désireux de participer aux émotions les plus générales de l’amour, m’avait peu à peu persuadé qu’elle était; alors je me rendais compte que cette vie qui m’avait tant ennuyé (du moins je le croyais) avait, au contraire, été délicieuse; [...]


Langue

p. 113

Jamais je ne retrouverais cette chose divine: un être avec qui je pusse causer de tout, à qui je pusse me confier. Me confier? Mais d’autres êtres ne montraient-ils pas plus de confiance qu’Albertine? Avec d’autres n’avais-je pas des causeries plus étendues? C’est que la confiance, la conversation, choses médiocres, qu’importe qu’elles soient plus ou moins imparfaites, si s’y mêle seulement l’amour, qui seul est divin? Je revoyais Albertine s’asseyant à son pianola, rose sous ses cheveux noirs; je sentais, sur mes lèvres qu’elle essayait d’écarter, sa langue, sa langue maternelle, incomestible, nourricière et sainte, dont la flamme et la rosée secrètes faisaient que, même quand Albertine la faisait seulement glisser à al surface de mon cou, de mon ventre, ces caresses superficielles mais en quelque sorte faites par l’intérieur de sa chair, extériorisé comme une étoffe qui montrerait sa doublure, prenaient, même dans des attouchements les plus externes, comme la mystérieuse douceur d’une pénétration.


Causalitat

p. 117

C’est dans les cours de cette dernière année, longue pour moi comme un siècle -tant Albertine avait changé de positions par rapport à ma pensée depuis Balbec jusqu’à son départ de Paris, et aussi, indépendamment de moi et souvent à mon insu, changé en soi-même- qu’il fallait placer toute cette bonne vie de tendresse qui avait si peu duré et qui pourtant m’apparaissait avec une plénitude, presque une immensité, à jamais impossible et pourtant qui m’était indispensable. Indispensable sans avoir peut-être été en soi et tout d’abord quelque chose de nécessaire, puisque je n’aurais pas connu Albertine si je n’avais pas lu dans un traité d’archéologie la description de l’église de Balbec; si Swann, en me disant que cette église était presque persane, n’avait pas orienté mes désirs vers le normand byzantin; si une société de palaces, en construisant à Balbec un hôtel hygiénique et confortable, n’avait pas décidé mes parents à exaucer mon souhait et à m’envoyer à Balbec. Certes, en ce Balbec depuis si longtemps désiré, je n’avais pas trouvé l’église persane que je rêvais, ni les brouillards éternels. Le beau train d’une heure trente-cinq lui-même n’avait pas répondu à ce que je m'en figurais. Mais en échange de ce que l’imagination laisse attendre et que nous nous donnons inutilement tant de peine pour essayer de découvrir, la vie nous donne quelque chose que nous étions bien loin d’imaginer. Qui m’eût dit à Combray, quand j’attendais le bonsoir de ma mère avec tant de tristesse, que ces anxiétés guériraient, puis renaîtraient un jour non pour ma mère, mais pour une jeune fille qui ne serait d’abord, sur l’horizon de la mer, qu’une fleur que mes yeux seraient chaque jour sollicités de venir regarder. mais une fleur pensante et dans l’esprit de qui je souhaitais si puérilement de tenir une grande place, que je souffrais qu’elle ignorât que je connaissais Mme de Villeparisis?


Constants en la manera d’enamorar-se. La persona estimada és construida

p. 120

Un homme a presque toujours la même manière de s’enrhumer, de tomber malade, c’est-à-dire, qu’il lui faut pour cela un certain concours de circonstances; il est naturel que, quand il devient amoureux, ce soit à propos d’un certain genre de femmes, genre d’ailleurs très étendu. [...] Et pourtant elle est compacte, indestructible devant nos yeux qui l’aiment, irremplaçable pendant très longtemps par une autre. C’est que cette femme n’a fait que susciter, par des sortes d’appels magiques, mille éléments de tendresse existant en nous à l’état fragmentaire et qu’elle a assemblés, unis, effaçant toute lacune entre eux, c’est nous-même qui en lui donnant ses traits avons fourni toute la matière solide de la personne aimée.


Relectura de les cartes

p. 128

[...] dans ses dernières lettres enfin, quand elle avait écrit (probablement en se disant “je fais du chiqué”): “Je vous laisse le meilleur de moi-même” (et n’était-ce pas en effet maintenant à la fidélité, aux forces, fragiles hélas aussi, de ma mémoire, qu’étaient confiées son intelligence, sa bonté, sa beauté?)


Construcció de la persona estimada

p. 59

Les deux plus grandes causes d’erreur dans ses rapports avec un autre être: avoir, soi, bon coeur, ou bien, cet autre, l’aimer. On aime sur un sourire, sur un regard, sur une épaule. Cela suffit; alors, dans les longues heures d’espérance ou de tristesse, on fabrique une personne, on compose un caractère. Et quand plus tard on fréquente la personne aimée, on ne peut pas plus, devant quelques cruelles réalités qu’on soit placé, ôter ce caractère bon, cette nature de femme nous aimant, à l’être qui a tel regard, telle épaule que nous ne pouvons quand elle vieillit, à une personne que nous connaissons depuis sa jeunesse, la lui ôter.


L’home, amfibi que habita en el passat i el present

p. 163

Mais un médecin de l’âme qui m’eût visité eût trouvé que pour le reste, mon chagrin lui-même allait mieux. Sans doute en moi, comme j’étais un homme, un de ces êtres amphibies qui sont simultanément plongés dans le passé et dans la réalité actuelle, il existait toujours une contradiction entre le souvenir vivant d’Albertine et la connaissance que j’avais de sa mort.


La memòria, com una biblioteca

p. 178

Les jours anciens recouvrent peu à peu ceux qui les ont précédés et sont eux-mêmes ensevelis sous ceux qui les suivent. Mais chaque jour ancien est resté déposé en nous comme dans une bibliothèque immense où il y a, des plus vieux livres, un exemplaire que sans doute personne n’ira jamais demander. Pourtant que ce jour ancien, traversant la translucidité des époques suivantes, remonte à la surface et s’étende en nous qu’il couvre tout entier, alors pendant un moment, les noms reprennent leur ancienne signification, les êtres leur ancien visage, nous notre âme d’alors, et nous sentons, avec une souffrance vague mais devenue supportable et qui ne durera pas, les problèmes devenus depuis longtemps insolubles qui nous angoissaient tant alors. Notre moi est fait de la superposition de nos états successifs. Mais cette superposition n’est pas immuable comme la stratification d’une montagne. Perpétuellement des soulèvements font affleurer à la surface des couches anciennes. Je me retrouvais après la soirée chez la princesse de Guermantes, attendant l’arrivée d’Albertine.


Espai i temps

p. 195

Comme il y a une géométrie dans l’espace, il y a une psychologie dans le temps, où les calculs d’une psychologie plane ne seraient plus exacts parce qu’on n’y tiendrait pas compte du Temps et d’une des formes qu’il revêt, l’oubli; l’oubli dont je commençais à sentir la force et qui est un si puissant instrument d’adaptation à la réalité parce qu’il détruit peu à peu en nous le passé survivant qui est en constante contradiction avec elle. Et j’aurais vraiment pu deviner plus tôt qu’un jour je n’aimerais plus Albertine.


L’amor, món exterior, solipsisme

p. 207

Certains philosophes disent que le monde extérieur n’existe pas et que c’est en nous-même que nous développons notre vie. Quoi qu’il en soit, l’amour, même en ses plus humbles commencements, est un exemple frappant du peu qu’est la réalité pour nous.


L’article publicat al Figaro

p. 210

J’ouvris le Figaro [...] C’était mon article qui avait enfin paru! [...] Puis je considérai le pain spirituel qu’est un journal, encore chaud et humide de la presse récente et du brouillard du matin où on le distribue dès l’aurore aux bonnes qui l’apportent à leur maître avec le café au lait, pain miraculeux, multipliable, qui est à la fois un et dix mille, et reste le même pour chacun tout en pénétrant à la fois, innombrable, dans toutes les maisons.


Banalitat de la vida

p. 246

Je me consolais peut-être plus aisément de constater que celle que j’avais aimée n’était plus au bout d’un certain temps qu’un pâle souvenir que de retrouver en moi cette vaine activité qui nous fait perdre le temps à tapisser notre vie d’une végétation humaine vivace mais parasite, qui deviendra le néant aussi quand elle sera morte, qui déjà est étrangère à tout ce qui nous avons connu et à laquelle pourtant cherche à plaire notre sénilité bavarde, mélancolique et coquette.


Venècia

p. 294

Et ainsi les promenades même seulement pour aller faire des visites et corner des cartes, étaient triples et uniques à Venise, où les simples allées et venues mondaines prennent en même temps la forme et le charme d’une visite à un musée et d’une bordée en mer.


Les transformacions del jo

p. 311

Et en m’apercevant que je n’avais pas de joie qu’elle fût vivante, que je ne l’aimais plus, j’aurais dû être plus bouleversé que quelqu’un qui, se regardant dans une glace, après des mois de voyage ou de maladie, s’aperçoit qu’il a des cheveux blancs et une figure nouvelle, d’homme mûr ou de vieillard. Cela bouleverse parce que cela veut dire: l’homme que l’étais, le jeune homme blond n’existe plus, je suis un autre. Or n’est-ce pas un changement aussi profond, une mort aussi totale du moi qu’on était, la substitution complète de ce moi nouveau, que de voir un visage ridé surmonté d’une perruque blanche qui a remplacé l’ancien? Mais on ne s’afflige pas plus d’être devenu un autre, les années ayant passé et dans l’ordre de la succession des temps, qu’on ne s’afflige, à une même époque, d’être tour à tour les êtres contradictoires, le méchant, le sensible, le délicat, le mufle, le désintéressé, l’ambitieux qu’on est tour à tour chaque journée. Et la raison pour laquelle on ne s'en afflige pas est la même, c’est que le moi éclipsé –momentanément dans le dernier cas et quand il s’agit du caractère, pour toujours dans le premier cas et quand il s’agit des passions- n’est pas là pour déplorer l’autre, l’autre qui est à ce moment-là, ou désormais, tout vous; le mufle sourit de sa muflerie car on est le mufle, et l’oublieux ne s’attriste pas de son manque de mémoire, précisément parce qu’on a oublié.
J’aurais été incapable de ressusciter Albertine parce que je l’étais de me ressusciter moi-même, de ressusciter mon moi d’alors. La vie, selon l’habitude qui est, par des travaux incessants d’infiniment petits, de changer la face du monde, ne m’avait pas dit au lendemain de la mort d’Albertine : “Sois un autre”, mais, par des changements trop imperceptibles pour me permettre de me rendre compte du fait même du changement, avait presque tout renouvelé en moi, de sorte que ma pensée était déjà habituée à son nouveau maître –mon nouveau moi- quand elle s’aperçut qu’il était changé; c’était à celui-ci qu’elle tenait. [...] D’ailleurs j’essayai de me la rappeler, et peut-être parce que je n’avais plus qu’un signe à faire pour l’avoir à moi, le souvenir qui me vint fut celui d’une fille déjà fort grosse, hommasse, dans le visage fané de laquelle saillait déjà, comme une graine, le profil de Mme Bontemps.
[...] 314
C’était elle qui était maintenant ce qu’Albertine avait été autrefois: mon amour pour Albertine n’avait été qu’une forme passagère de ma dévotion à la jeunesse. Nous croyons aimer une jeune fille, et nous n’aimons hélas! en elle que cette aurore dont leur visage reflète momentanément la rougeur.


La mort nous guérira du désir de l’immortalité

p. 315

Mais alors je songeai: je tenais à Albertine plus qu’à moi-même; je ne tiens plus à elle maintenant parce que pendant un certain temps j’ai cessé de la voir. Mon désir de ne pas être séparé de moi-même par la mort, de ressusciter après la mort, ce désir-là n’était pas comme le désir de ne jamais être séparé d’Albertine, il durait toujours. Mais cela tenait-il à ce que je me croyais plus précieux qu’elle, à ce que, quand je l’aimais, je m’aimais davantage? Non, cela tenait à ce que, cessant de la voir, j’avais cessé de l’aimer, et que je n’avais pas cessé de m’aimer parce que mes liens quotidiens avec moi-même l’étaient aussi...? Certes il en serait de même. Notre amour de la vie n’est qu’une vieille liaison dont nous ne savons pas nous débarrasser. Sa force est dans sa permanence. Mais la mort nous guérira du désir de l’immortalité.


Tela de Fortuny inspirada en Carpaccio

p. 318

[...] elle avait jeté sur ses épaules un manteau de Fortuny qu’elle avait emporté avec elle le lendemain et que je n’avais jamais revu depuis dans mes souvenirs. Or c’était dans ce tableau de Carpaccio que le fils génial de Venise l’avait pris, c’est des épaules de ce compagnon de la Calza, qu’il l’avait détaché pour le jeter sur celles de tant de Parisiennes, qui certes ignoraient, comme je l’avais fait jusqu’ici, que le modèle en existait dans un groupe de seigneurs, au premier plan du Patriarche di Grado, dans une salle de l’Académie de Venise.


Sand, Balzac

p. 333

[el casament arranjat per Charlus entre la neboda de Jupien un Legrandin] C’est la récompense de la vertu. C’est un mariage à la fin d’un roman de Mme Sand”, dit ma mère. “C’est le prix du vice, c’est un mariage à la fin d’un roman de Balzac”, pensai-je.


[Identitat com a reacció en situacions]

p. 355

[La mare de M evoca com s’hauria alegrat l’àvia en conèixer les noces de Gilberte i Saint-Loup]
Pauvre mère, si elle pouvait voir cela, comme elle a deviné juste! Jusqu’à la fin, même n’étant plus là, elle nous donnera des leçons de clairvoyance, de bonté, de juste appréciation des choses.” Et comme les joies dont nous souffrions de voir ma grand’mère privée, c’était toutes les humbles petites joies de la vie: une intonation d’acteur qui l’eût amusée, un plat qu’elle aimait, un nouveau roman d’un auteur préféré, maman disait: “Comme elle eût été surprise, comme cela l’eût amusée! Quelle jolie lettre elle eût répondue!”