Voyage autour de ma chambre. Xavier de Maistre

Xavier de Maistre (1763 – 1852) fou militar a la Savoia. El 1790, a resultes d’un duel a Torí, va quedar arrestat a casa durant 42 dies. Aleshores va escriure “Voyage autour de ma chambre”, amb les observacions de “viatjar” per casa seva durant aquest temps.


chap I

Le voyage

Non, je ne tiendrai plus mon livre in petto; le voilà, messieurs, lisez. J’ai entrepris et exécuté un voyage de quarante-deux jours autour de ma chambre. Les observations intéressantes que j’ai faites, et le plaisir continuel que j’ai éprouvé le long du chemin, me faisaient désirer de le rendre public; la certitude d’être utile m’y a décidé. Mon cœur éprouve une satisfaction inexprimable lorsque je pense au nombre infini de malheureux auquel j’offre une ressource assurée contre l’ennui, et un adoucissement aux maux qu’ils endurent. te plaisir qu’on trouve à voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes; il est indépendant de la fortune.

No,jo no guardaré pas més el meu llibre in petto; aquí el teniu, senyors, llegiu. He emprès i executat un viatge de quaranta dos dies al voltant de la meva cambra. Les observacions interessants que hi he fet i el plaer continu que he sentit per tot el camí, m’han fent desitjar publicar-lo; la certesa d’ésser útil m’ha decidit. El meu cor té una satisfacció inexpressable quan penso en el nombre infinit de malhaurats als quals jo ofereixo un recurs garantit contra l’avorriment, i un endolciment per als mals que pateixen. El goig que hom troba a viatjar a la pròpia cambra es troba a recer de la gelosia inquieta dels homes; és independent de la fortuna.

chap IV

chambre et fauteuil
Ma chambre est située sous le quarante-cinquième degré de latitude, selon les mesures du père Beccaria; sa direction est du levant au couchant; elle forme un carré long qui a trente-six pas de tour, en rasant la muraille de bien près. Mon voyage en contiendra cependant davantage; car je la traverserai souvent en long et en large, ou bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode. — Je ferai même des zigzags, et je parcourrai toutes les lignes possibles en géométrie si le besoin l’exige.

C’est un excellent meuble qu’un fauteuil; il est surtout de la dernière utilité pour tout homme méditatif. Dans les longues soirées d’hiver, il est quelquefois doux et toujours prudent de s’y étendre mollement, loin du fracas des assemblées nombreuses. — Un bon feu, des livres, des plumes; que de ressources contre l’ennui ! Et quel plaisir encore d’oublier ses livres et ses plumes pour tisonner son feu, en se livrant à quelque douce méditation, ou en arrangeant quelques rimes pour égayer ses amis ! Les heures glissent alors sur vous, et tombent en silence dans l’éternité, sans vous faire sentir leur triste passage.

chap V

Le lit

Après mon fauteuil, en marchant vers le nord, on découvre mon lit, qui est placé au fond de ma chambre, et qui forme la plus agréable perspective. Il est situé de la manière la plus heureuse : les premiers rayons du soleil viennent se jouer dans mes rideaux. — Je les vois, dans les beaux jours d’été, s’avancer le long de la muraille blanche, à mesure que le soleil s’élève : les ormes qui sont devant ma fenêtre les divisent de mille manières, et les font balancer sur mon lit, couleur de rose et blanc, qui répand de tous côtés une teinte charmante par leur réflexion. — J’entends le gazouillement confus des hirondelles qui se sont emparées du toit de la maison, et des autres oiseaux qui habitent les ormes : alors mille idées riantes occupent mon esprit; et, dans l’univers entier, personne n’a un réveil aussi agréable, aussi paisible que le mien. J’avoue que j’aime à jouir de ces doux instants, et que je prolonge toujours, autant qu’il est possible, le plaisir que je trouve à méditer dans la douce chaleur de mon lit.— Est il un théâtre qui prête plus à l’imagination, qui réveille de plus tendres idées, que le meuble où je m’oublie quelquefois? — Lecteur modeste, ne vous effrayer point; mais ne pourrais-je done parler du bonheur d’un amant qui serre pour la première fois dans ses bras une épouse vertueuse? plaisir ineffable, que mon mauvais destin me condamne à ne jamais goûter! N’est-ce pas dans un lit qu’une mère, ivre de joie à la naissance d’un fils, oublie ses douleurs? C’est là que les plaisirs fantastiques, fruits de l’imagination et de l’espérance, viennent nous agiter. — Enfin, c’est dans ce meuble délicieux que nous oublions, pendant une moitié de la vie, les chagrins de l’autre moitié. Mais quelle foule de pensées agréables et tristes se pressent à la fois dans mon cerveau! Mélange étonnant de situations terribles et délicieuses ! Un lit nous voit naître et nous voit mourir; c’est le theatre variable où le genre humain joue tour A tour des drames intéressants, des farces risibles et des tragédies épouvantables. — C’est un berceau garni de fleurs;— c’est le trône de l’amour;— c’est un sépulcre.

El mirall

Les estampes et les tableaux dont je viens de parler pâlissent et disparaissent au premier coup d’œil qu’on jette sur le tableau suivant : les ouvrages immortels de Raphaël, de Corrége et de toute l’Ecole d’Italie ne soutiendraient pas le parallèle. Aussi je le garde toujours pour le dernier morceau, pour la pièce de réserve, lorsque je procure à quelques curieux le plaisir de voyager avec moi ; et je puis assurer que, depuis que je fais voir ce tableau sublime aux connaisseurs et aux ignorants, aux gens du monde, aux artisans, aux femmes et aux enfants, aux animaux mêmes, j’ai toujours vu les spectateurs quelconques donner, chacun à sa manière, des signes de plaisir et d’étonnement : tant la nature y est admirablement rendue !

Eh ! quel tableau pourrait-on vous présenter, messieurs ; quel spectacle pourrait-on mettre sous vos yeux, mesdames, plus sûr de votre suffrage que la fidèle représentation de vous-mêmes? Le tableau dont je parle est un miroir, et personne jusqu’à présent ne s’est encore avisé de le critiquer ; il est, pour tous ceux qui le regardent, un tableau parfait auquel il n’y a rien à redire.

On conviendra sans doute qu’il doit être compté pour une des merveilles de la contrée où je me promène.

Je passerai sous silence le plaisir qu’éprouve le physicien méditant sur les étranges phénomènes de la lumière qui représente tous les objets de la nature sur cette surface polie. Le miroir présente au voyageur sédentaire mille réflexions intéressantes, mille observations qui le rendent un objet utile et précieux.

Vous que l’amour a tenus ou tient encore sous son empire, apprenez que c’est devant un miroir qu’il aiguise ses traits et médite ses cruautés ; c’est là qu’il répète ses manœuvres, qu’il étudie ses mouvements, qu’il se prépare d’avance à la guerre qu’il veut déclarer ; c’est là qu’il s’exerce aux doux regards, aux petites mines, aux bouderies savantes, comme un acteur s’exerce en face de lui-même avant de se présenter en public. Toujours impartial et vrai, un miroir renvoie aux yeux du spectateur les roses de la jeunesse et les rides de l’âge sans calpmnier et sans flatter personne. — Seul entre tous les conseillers des grands, il leur dit constamment la vérité.


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